Et si, pour commencer à parler du cinéma ici, je partais sur un film très méconnu...sur une île mystérieuse?..
C'est la nuit, la pluie tombe sur une pierre tombale que des masses sont en train de briser. Une assemblée silencieuse contemple solennellement le moment. La pluie cesse et les parapluies se ferment tandis que le cercueil est extrait et ouvert. Il ne reste plus que le linceul recouvrant le cadavre. Un "Agnus Dei" retentit alors, chanté par un choeur corse et ce que nous pressentions arrive bel et bien: le linceul est religieusement retiré et un profond respect nous envahit devant cette musique prenant aux tripes, ces hommes dignes mais manifestement émus, et le cadavre parfaitement préservé de l'ancien empereur français. Nous sommes le 15 octobre 1840: la dépouille de Napoléon 1er est exhumée du cimetière de Sainte-Hélène pour être ramenée en France et inhumée définitivement aux Invalides. Mais pour le colonel Basil Heathcote, ancien gardien de l'Empereur à Sainte-Hélène, ce sont des souvenirs qui vont soudain revenir, et des questions qui vont petit à petit se poser...
Ce film est une plongée dans une partie très méconnue de la vie de Napoléon: la dernière. L'homme est enfermé à Longwood, surveillé impitoyablement par les anglais. Il est entouré par une cour impériale qu'il a voulu strictement semblable à celle des Tuileries. Ce film nous est narré par Heathcote, le seul personnage inventé qui est en fait une synthèse de tous les gardiens qui se sont succédés afin de donner au film une certaine lisibilité. L'ambiance est sombre, lente, suspicieuse, envoutante, et petit à petit des phrases viennent nous rappeler l'énigme qui commence, sans se presser, à se dévoiler: la principale est une citation de Napoléon ("L'Histoire est un mensonge que personne ne conteste"): paradoxalement _en fait de façon totalement délibérée_ elle n'est pas prononcée par Napoléon mais par Heathcote qui le cite le 15 décembre 1840 (jour du retour des cendres) au maréchal Bertrand.
L'une des particularités les plus intelligentes de ce film est qu'il ne cesse de revenir en 1840 afin de marquer les événements importants comme un chapitrage et une pause dans l'ambiance "lourde" de Sainte-Hélène d'une part mais d'autre part, plus subtilement, cela permet de voir l'évolution de la réflexion du narrateur...
Au fil du film l'ambiance qui était d'abord étrange et éthérée devient de plus en plus sombre, de plus en plus pesante, je n'ose dire de plus en plus violente vu que de violence il n'y a pas au sens strict du terme... Mais les secrets cachés refont petit à petit surface avec une grande cohérence historique: d'étranges faits inexpliqués trouvent une réponse ou du moins une hypothèse parfaitement logique, et d'étranges contradictions, d'étranges lacunes, semblent émerger rendant l'hypothèse "officielle" de plus en plus douteuse...
Nous en sommes là quand soudain la narration s'accélère _la lumière aussi (de Caunes joue énormément sur la luminosité pour servir la narration)_: l'absence totale de témoignages anglais fiables durant la période 1818-1821 ne permettant aucune spéculation les questions restent en suspens. Et le 21 avril 1821 Napoléon meurt avec comme seuls témoins militaires Bertrand et Montholon.
C'est alors que le film change radicalement de perception: retour en 1840 et l'ambiance change du tout au tout. Après la "pause" précédente nous retrouvons l'obscurité mais celle-ci n'est plus seulement angoissante et inquiétante: elle devient carrément glauque, faisant écho à certaines des scènes les plus étranges de la première partie qui arrivaient alors comme des coups de fusils. Mais désormais l'énigme commence petit à petit à se dévoiler: les moments les plus importants du film reviennent en flash-backs savamment montés, la musique devient totalement psychédélique...et la révélation éclate comme une déclaration d'amour, nous laissant pantois!..
Il est temps de conclure, de savoir enfin le fin mot... Et Heathcote _comme de Caunes_ choisit de ne pas "savoir", de laisser planer le doute. La musique merveilleuse nous remplit de bien-être, car si nous acceptons volontiers de ne pas "savoir" nous non-plus nous avons néanmoins bigrement envie "d'y croire"! Heathcote a terminé son histoire: lui qui au départ cherchait à retrouver celle qu'il aimait sans espoir face à Napoléon a découvert une vérité incroyable quant à l'Histoire mais aussi une autre vérité quant à lui-même: ce film est également une histoire d'amour caché qui se révèle progressivement, et dans ce duo magique de piano et de hautbois nous nous laissons aller à la félicité un rien mélancolique que ce final provoque...
J'ai ici marqué l'intrigue du film et son ambiance générale qui sont selon-moi les clefs de sa réussite, tout comme de sa diffusion confidentielle: il n'est en-effet pas destiné à tout le monde, son côté "intello" est revendiqué et il ne faut pas s'attendre à une hagiographie ou à un pamphlet sur Napoléon ou ses geôliers, mais à une enquête policière sur des personnages très humains. La distribution est absolument remarquable: Richard E. Grant interprète avec justesse et nuance le "maudit" Hudson Lowe (à noter que les anglais parlent en anglais, les français en français, et parfois les corses en sarde [non je plaisante mais vous auriez compris alors autant éviter un nouveau pléonasme ...]), Rochdy Zem est un Bertrand très convainquant, Toretton est un excellent Napoléon (le plus convainquant depuis très longtemps), et Bruno Plutzulu s'accapare avec classe le rôle du mystérieux Cipriani _les autres sont tout aussi convaincants mais je n'ai voulu citer que les plus connus_... La musique est son atout plus: composée par Stephan Eicher elle pourrait s'écouter en boucle: parfois sombre, parfois menaçante, parfois guindée, parfois triomphante, parfois effrayante, elle est GENIALISSIME (et je pèse mes mots)!
Voilà, je pense avoir à peu près tout dit: si je réussis avec cette critique à amener certains/certaines d'entre vous à découvrir ce film j'aurais réussi une chose dans ma vie.
Mais avant de la voir, pour tous les "fermés" qui ne vont de toutes façons pas y croire, je vais poser une question que Napoléon pose précocement dans le film et qui est la clef du début de l'énigme (ce qui la justifie): "Comment un homme qui a eu le monde entre ses mains peut-il accepter de n'être plus rien?"
C'est la nuit, la pluie tombe sur une pierre tombale que des masses sont en train de briser. Une assemblée silencieuse contemple solennellement le moment. La pluie cesse et les parapluies se ferment tandis que le cercueil est extrait et ouvert. Il ne reste plus que le linceul recouvrant le cadavre. Un "Agnus Dei" retentit alors, chanté par un choeur corse et ce que nous pressentions arrive bel et bien: le linceul est religieusement retiré et un profond respect nous envahit devant cette musique prenant aux tripes, ces hommes dignes mais manifestement émus, et le cadavre parfaitement préservé de l'ancien empereur français. Nous sommes le 15 octobre 1840: la dépouille de Napoléon 1er est exhumée du cimetière de Sainte-Hélène pour être ramenée en France et inhumée définitivement aux Invalides. Mais pour le colonel Basil Heathcote, ancien gardien de l'Empereur à Sainte-Hélène, ce sont des souvenirs qui vont soudain revenir, et des questions qui vont petit à petit se poser...
Ce film est une plongée dans une partie très méconnue de la vie de Napoléon: la dernière. L'homme est enfermé à Longwood, surveillé impitoyablement par les anglais. Il est entouré par une cour impériale qu'il a voulu strictement semblable à celle des Tuileries. Ce film nous est narré par Heathcote, le seul personnage inventé qui est en fait une synthèse de tous les gardiens qui se sont succédés afin de donner au film une certaine lisibilité. L'ambiance est sombre, lente, suspicieuse, envoutante, et petit à petit des phrases viennent nous rappeler l'énigme qui commence, sans se presser, à se dévoiler: la principale est une citation de Napoléon ("L'Histoire est un mensonge que personne ne conteste"): paradoxalement _en fait de façon totalement délibérée_ elle n'est pas prononcée par Napoléon mais par Heathcote qui le cite le 15 décembre 1840 (jour du retour des cendres) au maréchal Bertrand.
L'une des particularités les plus intelligentes de ce film est qu'il ne cesse de revenir en 1840 afin de marquer les événements importants comme un chapitrage et une pause dans l'ambiance "lourde" de Sainte-Hélène d'une part mais d'autre part, plus subtilement, cela permet de voir l'évolution de la réflexion du narrateur...
Au fil du film l'ambiance qui était d'abord étrange et éthérée devient de plus en plus sombre, de plus en plus pesante, je n'ose dire de plus en plus violente vu que de violence il n'y a pas au sens strict du terme... Mais les secrets cachés refont petit à petit surface avec une grande cohérence historique: d'étranges faits inexpliqués trouvent une réponse ou du moins une hypothèse parfaitement logique, et d'étranges contradictions, d'étranges lacunes, semblent émerger rendant l'hypothèse "officielle" de plus en plus douteuse...
Nous en sommes là quand soudain la narration s'accélère _la lumière aussi (de Caunes joue énormément sur la luminosité pour servir la narration)_: l'absence totale de témoignages anglais fiables durant la période 1818-1821 ne permettant aucune spéculation les questions restent en suspens. Et le 21 avril 1821 Napoléon meurt avec comme seuls témoins militaires Bertrand et Montholon.
C'est alors que le film change radicalement de perception: retour en 1840 et l'ambiance change du tout au tout. Après la "pause" précédente nous retrouvons l'obscurité mais celle-ci n'est plus seulement angoissante et inquiétante: elle devient carrément glauque, faisant écho à certaines des scènes les plus étranges de la première partie qui arrivaient alors comme des coups de fusils. Mais désormais l'énigme commence petit à petit à se dévoiler: les moments les plus importants du film reviennent en flash-backs savamment montés, la musique devient totalement psychédélique...et la révélation éclate comme une déclaration d'amour, nous laissant pantois!..
Il est temps de conclure, de savoir enfin le fin mot... Et Heathcote _comme de Caunes_ choisit de ne pas "savoir", de laisser planer le doute. La musique merveilleuse nous remplit de bien-être, car si nous acceptons volontiers de ne pas "savoir" nous non-plus nous avons néanmoins bigrement envie "d'y croire"! Heathcote a terminé son histoire: lui qui au départ cherchait à retrouver celle qu'il aimait sans espoir face à Napoléon a découvert une vérité incroyable quant à l'Histoire mais aussi une autre vérité quant à lui-même: ce film est également une histoire d'amour caché qui se révèle progressivement, et dans ce duo magique de piano et de hautbois nous nous laissons aller à la félicité un rien mélancolique que ce final provoque...
J'ai ici marqué l'intrigue du film et son ambiance générale qui sont selon-moi les clefs de sa réussite, tout comme de sa diffusion confidentielle: il n'est en-effet pas destiné à tout le monde, son côté "intello" est revendiqué et il ne faut pas s'attendre à une hagiographie ou à un pamphlet sur Napoléon ou ses geôliers, mais à une enquête policière sur des personnages très humains. La distribution est absolument remarquable: Richard E. Grant interprète avec justesse et nuance le "maudit" Hudson Lowe (à noter que les anglais parlent en anglais, les français en français, et parfois les corses en sarde [non je plaisante mais vous auriez compris alors autant éviter un nouveau pléonasme ...]), Rochdy Zem est un Bertrand très convainquant, Toretton est un excellent Napoléon (le plus convainquant depuis très longtemps), et Bruno Plutzulu s'accapare avec classe le rôle du mystérieux Cipriani _les autres sont tout aussi convaincants mais je n'ai voulu citer que les plus connus_... La musique est son atout plus: composée par Stephan Eicher elle pourrait s'écouter en boucle: parfois sombre, parfois menaçante, parfois guindée, parfois triomphante, parfois effrayante, elle est GENIALISSIME (et je pèse mes mots)!
Voilà, je pense avoir à peu près tout dit: si je réussis avec cette critique à amener certains/certaines d'entre vous à découvrir ce film j'aurais réussi une chose dans ma vie.
Mais avant de la voir, pour tous les "fermés" qui ne vont de toutes façons pas y croire, je vais poser une question que Napoléon pose précocement dans le film et qui est la clef du début de l'énigme (ce qui la justifie): "Comment un homme qui a eu le monde entre ses mains peut-il accepter de n'être plus rien?"